ARTICLES Lex Terra Avocat
Jurisprudence BIM : un premier exemple venu du Royaume-Uni
Abstract
La première jurisprudence BIM nous vient du Royaume-Uni et porte sur un sujet jusqu’à maintenant peu discuté. Un prestataire non payé sur fond de travaux supplémentaires refuse l’accès de la plateforme au maître de l’ouvrage. Considérant ce dernier comme le propriétaire vraisemblable des données, le juge ordonne la restauration des droits d’accès tout en exigeant le paiement des sommes dues.
Cette affaire met en évidence l’importance de l’organisation contractuelle d’une mission BIM, et probablement aussi la difficulté à le faire.
La première jurisprudence BIM nous vient du Royaume-Uni et porte sur un sujet jusqu’à maintenant peu discuté. Un prestataire non payé sur fond de travaux supplémentaires refuse l’accès de la plateforme au maître de l’ouvrage. Considérant ce dernier comme le propriétaire vraisemblable des données, le juge ordonne la restauration des droits d’accès tout en exigeant le paiement des sommes dues.
Cette affaire met en évidence l’importance de l’organisation contractuelle d’une mission BIM, et probablement aussi la difficulté à le faire.
Citation de l’article : D. Richard, « Jurisprudence BIM : Trant Vs Mott McDonald Ltd un premier exemple venu du Royaume-Uni », LTA, juin 2018.
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Le BIM (Building Information Modelling) a littéralement conquis l’industrie de la construction. Il n’en demeure pas moins un outil neuf, soulevant de nombreuses questions. Les juristes spécialisés sur ce champ ont mis en avant certaines problématiques, mais, à ce jour, en France la jurisprudence n’a jamais eu à se prononcer sur une opération BIM concrète.
Le 5 juillet 2017, la section technologie et construction de la Cour suprême britannique (The Hight Court of Justice) a rendu une décision sur un premier litige se rapportant à un projet BIM. Cette affaire est référencée : Neutral citation [207] EWHC 2061 (TCC) sous la dénomination Trant Engineering Ltd v Mott McDonald Ltd MML. En vertu du principe de la rareté, cette décision a donné lieu à de nombreux commentaires sur Internet, et celles et ceux qui sont intéressés par le sujet trouveront sans peine à assouvir leur curiosité via une recherche Google.
La problématique
L’exemple est à vrai dire intéressant et nous vous proposons d’en tirer quelques enseignements rudimentaires. Il ne s’agit pas de faire une étude comparée de ce cas, ni même de le traiter dans une perspective de droit français. Nous nous limiterons à une brève présentation en mettant en avant les aspects susceptibles d’avoir un intérêt, disons pratique.
À ce propos, un premier point doit être souligné. Alors que le BIM soulève traditionnellement des questions tenant à la responsabilité des constructeurs ou à la propriété intellectuelle en raison de sa dimension collaborative, l’affaire Trent Vs MML est bien plus basique au moins sur le principe.
Le fond de l’affaire est même tout à fait basic, et les prétentions des parties veilles le comme le monde. Un prestataire non payé au prétexte de travaux supplémentaires s’arrête de travailler, et retient une partie de ce qu’il considère être sa prestation, le client lui ne l’entend pas de cette oreille et saisit le juge pour disposer de ce qu’il perçoit comme sa propriété, la maquette BIM et surtout les données qui en sont à la base.
Bref retour sur les faits
Dans une perspective plus juridique, les faits étaient les suivants : Trant Engineering Ltd (Trant) un constructeur répond à une consultation du ministère de la Défense britannique pour la construction d’une centrale électrique dans les iles Falkland dotée d’un budget de 55 millions de livres.
Dans le cadre de sa réponse, Trant recourt au service de Mott McDonald Ltd (MML) pour une mission BIM. Trent remporte l’appel d’offres, et, pour simplifier, MML prend en charge le BIM management de ce projet. Des discussions interviennent entre les deux cocontractants, mais aucun contrat ne parvient à être signé (sans doute le signe du rôle secondaire de l’écrit en pays de common law).
En dépit de cet aspect, MML commence à réaliser sa prestation et livre des maquettes intermédiaires y compris en version papier. Il obtient en contrepartie paiement de ces prestations à deux reprises (2 X 275000 £), sans que ces versements ne correspondent aux échéanciers des documents contractuels échangés. À l’envoi d’une troisième facture, Trant refuse de payer en raison de l’apparition de travaux supplémentaires renchérissant la prestation initiale. MML adresse alors une nouvelle facture cette fois 1,6 million, cesse de travailler et surtout modifie les codes d’accès à la maquette numérique et la base de données s’y rapportant.
Sans cette dernière réalisée par MLL sous une plateforme collaborative utilisant Projectwise, Trant se retrouve dans l’incapacité de poursuive son projet de construction, sauf à réinitier un BIM ex nihilo au prix de coûts et des délais compromettant probablement le projet.
Trant choisit donc d’obtenir l’accès de la maquette BIM par l’entremise d’une action en justice, en l’occurrence l’équivalent d’une procédure de référé (Interim madatory injonction).
La question centrale posée à la cour était celle de savoir qui était propriétaire de la base de données ou, a minima, qui était le titulaire du droit d’accès à cette base.
La décision de la Cour suprême
S’inspirant du jugement de Salomon, la cour se rallie sur le principe à la position de Trant en le désignant comme le propriétaire de la base, ce qui induit de restaurer ses droits d’accès.
Pour cela, la décision se fonde sur deux points. D’abord, sur la base des documents soumis au juge, celle-ci considère qu’une décision au fond conduira vraisemblablement à attribuer la propriété des données à Trant du fait de la nature de la mission de MLL (BIM Manager) ; ensuite, common law obligeant, cette décision redonnant à Trant accès aux données s’avère opportune au regard des enjeux pour les deux parties (balance of convenience). L’objet du marché de Trant a certainement joué en sa faveur sur ce point. Lui refuser l’accès aux données signifiait des retards de livraison significatifs pour un projet en lien avec la sécurité nationale.
Toutefois, si la décision conforte Trant, elle le condamne simultanément à payer à MLL la facture de 475 000 £ préservant du même coup les intérêts de ce dernier.
Les enseignements de cette affaire
Quels enseignements tirés de cette jurisprudence ?
D’évidence, on peut indiquer qu’indépendamment de sa culture juridique, signer un contrat avant de se lancer dans la réalisation d’une prestation possède de vraies vertus.
Pour l’anecdote, sous l’angle de la réglementation française, le contrat liant Trant à MLL s’analyserait vraisemblablement en un contrat de sous-traitance à un marché public, pour lequel en dehors de la procédure d’agrément, « l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande. » (Article 3 loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance).
Mise à part cette dimension, le litige opposant Trant à MML entraîne au moins deux observations. La première dépasse le cadre juridique stricto sensu. En effet, ce contentieux souligne le poids d’une mission BIM sur un projet de construction. Le coût de la prestation BIM au regard de l’ensemble est loin d’être négligeable – entre 3 et 4 millions de livres sur un ensemble de 55 millions, l’important n’est pourtant pas là. Pour l’essentiel, ce qui a d’abord poussé Trant à engager une procédure, c’est la grande difficulté qu’il aurait eue à poursuivre son projet sans la maquette BIM de MLL.
En d’autres termes, par sa position en amont de l’opération et sa capacité à la conditionner en détenant toutes les données se rapportant au projet, la mission BIM revêt une importance stratégique, bousculant les logiques traditionnelles de la construction.
La seconde observation consiste à rappeler l’importance d’organiser les relations contractuelles d’une prestation BIM. Sans être exhaustif, il semble judicieux de planifier la traçabilité et les autorisations pour la modification des données, leur stockage et les mesures de prévention de cyberattaques, les relations avec l’éditeur des logiciels, les droits de propriété intellectuelle, et évidemment les droits d’accès aux données voire leur propriété.
Dans cette affaire, on aurait pu facilement imaginer une clause de retrait du droit d’accès de Trant en cas de non-paiement des factures de MML, d’ailleurs le contrat prévoyait le transfert des droits de propriété intellectuelle seulement au paiement de l’intégralité des sommes dues.
Cependant, une telle disposition, au demeurant très efficace pour son bénéficiaire, ne va pas sans soulever de difficultés. En l’occurrence, l’accès à la maquette emportait également celui de la base de données. Or, cette dernière dans une démarche BIM est constituée par l’apport de nombreux acteurs y compris le maître de l’ouvrage lui-même, sans même parler de la dimension collaborative du BIM qui aboutit à une forme de coréalisation de la mission.
Accorder au BIM manager la faculté de supprimer l’accès à la maquette 3D et la base de données s’analyse en une prérogative sinon exorbitante à tout le moins aux implications lourdes de conséquences.
Dernier aspect, le maître de l’ouvrage, première cible de la suppression potentielle du droit d’accès, est aussi souvent pour ne pas dire toujours à l’initiative de la démarche BIM. Dès lors, acceptera-t-il qu’une menace de la sorte pèse sur son projet ?
De même, en l’absence d’une telle clause, on peut s’interroger pour savoir quelle pourrait être la position d’un juge français dans une affaire semblable à celle de Trant Vs MML ? Et sur quel fondement se placerait-il ? Le droit de rétention appliqué aux choses incorporelles n’a rien d‘évident pour s’en tenir à cet aspect.
Les réponses à ces questions, comme pour d’autres aspects du BIM, mettront sans doute du temps avant d’être formulées avec assurance, d’autant que l’équilibre économique de la relation donnant, au moins aujourd’hui un avantage à la maîtrise d’ouvrage, pourrait avoir une influence non négligeable.
Le 5 juillet 2017, la section technologie et construction de la Cour suprême britannique (The Hight Court of Justice) a rendu une décision sur un premier litige se rapportant à un projet BIM. Cette affaire est référencée : Neutral citation [207] EWHC 2061 (TCC) sous la dénomination Trant Engineering Ltd v Mott McDonald Ltd MML. En vertu du principe de la rareté, cette décision a donné lieu à de nombreux commentaires sur Internet, et celles et ceux qui sont intéressés par le sujet trouveront sans peine à assouvir leur curiosité via une recherche Google.
La problématique
L’exemple est à vrai dire intéressant et nous vous proposons d’en tirer quelques enseignements rudimentaires. Il ne s’agit pas de faire une étude comparée de ce cas, ni même de le traiter dans une perspective de droit français. Nous nous limiterons à une brève présentation en mettant en avant les aspects susceptibles d’avoir un intérêt, disons pratique.
À ce propos, un premier point doit être souligné. Alors que le BIM soulève traditionnellement des questions tenant à la responsabilité des constructeurs ou à la propriété intellectuelle en raison de sa dimension collaborative, l’affaire Trent Vs MML est bien plus basique au moins sur le principe.
Le fond de l’affaire est même tout à fait basic, et les prétentions des parties veilles le comme le monde. Un prestataire non payé au prétexte de travaux supplémentaires s’arrête de travailler, et retient une partie de ce qu’il considère être sa prestation, le client lui ne l’entend pas de cette oreille et saisit le juge pour disposer de ce qu’il perçoit comme sa propriété, la maquette BIM et surtout les données qui en sont à la base.
Bref retour sur les faits
Dans une perspective plus juridique, les faits étaient les suivants : Trant Engineering Ltd (Trant) un constructeur répond à une consultation du ministère de la Défense britannique pour la construction d’une centrale électrique dans les iles Falkland dotée d’un budget de 55 millions de livres.
Dans le cadre de sa réponse, Trant recourt au service de Mott McDonald Ltd (MML) pour une mission BIM. Trent remporte l’appel d’offres, et, pour simplifier, MML prend en charge le BIM management de ce projet. Des discussions interviennent entre les deux cocontractants, mais aucun contrat ne parvient à être signé (sans doute le signe du rôle secondaire de l’écrit en pays de common law).
En dépit de cet aspect, MML commence à réaliser sa prestation et livre des maquettes intermédiaires y compris en version papier. Il obtient en contrepartie paiement de ces prestations à deux reprises (2 X 275000 £), sans que ces versements ne correspondent aux échéanciers des documents contractuels échangés. À l’envoi d’une troisième facture, Trant refuse de payer en raison de l’apparition de travaux supplémentaires renchérissant la prestation initiale. MML adresse alors une nouvelle facture cette fois 1,6 million, cesse de travailler et surtout modifie les codes d’accès à la maquette numérique et la base de données s’y rapportant.
Sans cette dernière réalisée par MLL sous une plateforme collaborative utilisant Projectwise, Trant se retrouve dans l’incapacité de poursuive son projet de construction, sauf à réinitier un BIM ex nihilo au prix de coûts et des délais compromettant probablement le projet.
Trant choisit donc d’obtenir l’accès de la maquette BIM par l’entremise d’une action en justice, en l’occurrence l’équivalent d’une procédure de référé (Interim madatory injonction).
La question centrale posée à la cour était celle de savoir qui était propriétaire de la base de données ou, a minima, qui était le titulaire du droit d’accès à cette base.
La décision de la Cour suprême
S’inspirant du jugement de Salomon, la cour se rallie sur le principe à la position de Trant en le désignant comme le propriétaire de la base, ce qui induit de restaurer ses droits d’accès.
Pour cela, la décision se fonde sur deux points. D’abord, sur la base des documents soumis au juge, celle-ci considère qu’une décision au fond conduira vraisemblablement à attribuer la propriété des données à Trant du fait de la nature de la mission de MLL (BIM Manager) ; ensuite, common law obligeant, cette décision redonnant à Trant accès aux données s’avère opportune au regard des enjeux pour les deux parties (balance of convenience). L’objet du marché de Trant a certainement joué en sa faveur sur ce point. Lui refuser l’accès aux données signifiait des retards de livraison significatifs pour un projet en lien avec la sécurité nationale.
Toutefois, si la décision conforte Trant, elle le condamne simultanément à payer à MLL la facture de 475 000 £ préservant du même coup les intérêts de ce dernier.
Les enseignements de cette affaire
Quels enseignements tirés de cette jurisprudence ?
D’évidence, on peut indiquer qu’indépendamment de sa culture juridique, signer un contrat avant de se lancer dans la réalisation d’une prestation possède de vraies vertus.
Pour l’anecdote, sous l’angle de la réglementation française, le contrat liant Trant à MLL s’analyserait vraisemblablement en un contrat de sous-traitance à un marché public, pour lequel en dehors de la procédure d’agrément, « l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande. » (Article 3 loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance).
Mise à part cette dimension, le litige opposant Trant à MML entraîne au moins deux observations. La première dépasse le cadre juridique stricto sensu. En effet, ce contentieux souligne le poids d’une mission BIM sur un projet de construction. Le coût de la prestation BIM au regard de l’ensemble est loin d’être négligeable – entre 3 et 4 millions de livres sur un ensemble de 55 millions, l’important n’est pourtant pas là. Pour l’essentiel, ce qui a d’abord poussé Trant à engager une procédure, c’est la grande difficulté qu’il aurait eue à poursuivre son projet sans la maquette BIM de MLL.
En d’autres termes, par sa position en amont de l’opération et sa capacité à la conditionner en détenant toutes les données se rapportant au projet, la mission BIM revêt une importance stratégique, bousculant les logiques traditionnelles de la construction.
La seconde observation consiste à rappeler l’importance d’organiser les relations contractuelles d’une prestation BIM. Sans être exhaustif, il semble judicieux de planifier la traçabilité et les autorisations pour la modification des données, leur stockage et les mesures de prévention de cyberattaques, les relations avec l’éditeur des logiciels, les droits de propriété intellectuelle, et évidemment les droits d’accès aux données voire leur propriété.
Dans cette affaire, on aurait pu facilement imaginer une clause de retrait du droit d’accès de Trant en cas de non-paiement des factures de MML, d’ailleurs le contrat prévoyait le transfert des droits de propriété intellectuelle seulement au paiement de l’intégralité des sommes dues.
Cependant, une telle disposition, au demeurant très efficace pour son bénéficiaire, ne va pas sans soulever de difficultés. En l’occurrence, l’accès à la maquette emportait également celui de la base de données. Or, cette dernière dans une démarche BIM est constituée par l’apport de nombreux acteurs y compris le maître de l’ouvrage lui-même, sans même parler de la dimension collaborative du BIM qui aboutit à une forme de coréalisation de la mission.
Accorder au BIM manager la faculté de supprimer l’accès à la maquette 3D et la base de données s’analyse en une prérogative sinon exorbitante à tout le moins aux implications lourdes de conséquences.
Dernier aspect, le maître de l’ouvrage, première cible de la suppression potentielle du droit d’accès, est aussi souvent pour ne pas dire toujours à l’initiative de la démarche BIM. Dès lors, acceptera-t-il qu’une menace de la sorte pèse sur son projet ?
De même, en l’absence d’une telle clause, on peut s’interroger pour savoir quelle pourrait être la position d’un juge français dans une affaire semblable à celle de Trant Vs MML ? Et sur quel fondement se placerait-il ? Le droit de rétention appliqué aux choses incorporelles n’a rien d‘évident pour s’en tenir à cet aspect.
Les réponses à ces questions, comme pour d’autres aspects du BIM, mettront sans doute du temps avant d’être formulées avec assurance, d’autant que l’équilibre économique de la relation donnant, au moins aujourd’hui un avantage à la maîtrise d’ouvrage, pourrait avoir une influence non négligeable.