ARTICLES Lex Terra Avocat
Contrats de construction collaboratifs :
Integrate Delevry Project IDP et BIM
Le BIM signe l’entrée de l’immeuble dans le monde du numérique. Ce changement profond offre des opportunités inédites pour repenser le process de construction d’un bâtiment, et le rendre plus efficient. Cette efficacité va se traduire par des gains, qui fondent la raison d’être de l’arrivée du BIM dans l’industrie immobilière.
La création de cette valeur ajoutée induit une question légitime, celle de son partage. Autrement dit, qui doit profiter de ce gain nouveau ?
L’acteur ou le professionnel BIM, cheville ouvrière de la plus-value ? Le Maître de l’Ouvrage (MO) qui investit dans l’opération ? Un premier réflexe conduit à privilégier le MO. Il représente celui qui se trouve à l’origine de l’investissement, supportant le risque, sans lequel l’opération n’existerait pas. Lui faire profiter des gains apparaît alors assez naturel, et c’est sans doute le schéma le plus répandu.
Toutefois, à bien y réfléchir, le processus n’a rien d’évident. Si le MO est légitime à revendiquer en raison de sa prise de risque financier un éventuel droit à récompense, l’acteur BIM a également des arguments à faire valoir.
Ce dernier supporte une part d’investissement nécessaire à l’opération. D’abord, il doit investir, notamment dans le hardware, software et plus encore dans son expertise et son savoir-faire, étant précisé que dans un univers en plein développement cet effort est à la fois continu et indispensable.
Deux autres aspects viennent à l’appui de l’attribution d’un gain, au moins partiel, au profit du professionnel BIM.
En équité, la plus-value vient du recours au BIM, soit le travail de l’acteur BIM, légitimant un droit de retour sur ce gain.
Par ailleurs, sur le plan de l’efficacité économique, on peut imaginer qu’en attribuant une part de la valeur ajoutée à l’acteur BIM la créant, ce dernier sera motivé pour créer plus de valeur, donnant lieu à une récompense supplémentaire, et ainsi de suite.
Inversement, priver l’acteur à l’origine de la création de la richesse n’est pas une invitation très alléchante à poursuivre dans ce sens. Résultat, dans cette logique, les gains seront faibles, voire inexistants, et s’interroger pour savoir qui doit bénéficier de ce gain a peu de sens.
Cette discussion renvoie en réalité à une question plus vaste touchant à la science économique. Plus prosaïquement, l’industrie de la construction aux États-Unis développe une approche, ou, disons un outil, qui répond à la problématique de la création comme au partage de la valeur ajoutée.
Il s’agit de l’Integrated Project Delivery (IPD). Il possède de très nombreuses caractéristiques communes avec le BIM, et au-delà une même philosophie. Dans le même temps, l’Integrated Project Delivery est un outil à part entière, encore assez méconnu, et il n’est pas inutile d’en découvrir les grandes lignes.
Comment se définit l’Integrated Project Delivery ?
La définition que l’on rencontre le plus souvent vient comme l’Integrated Project Delivery des Etats Unis, et plus précisément de la puissante American Institute of Architects ou AIA (www.aia.org). Une traduction littérale de cette définition présenterait plus d’inconvénients que d’avantages, il est donc préférable de la garder en anglais :
“ Integrated Project Delivery (IPD) is a project delivery approach that integrates people, systems, business structures, and practices into a process that collaboratively harnesses the talents and insights of all project participants to optimize project results, increase value to the owner, reduce waste, and maximize efficiency through all phases of design, fabrication, and construction.”(AIA 2007[1])
Quel est le principe de cet outil ?
Le principe essentiel, c’est la collaboration ou la mutualisation des interventions, qui concourent à l’acte de construire, ce qui est bien sûr très proche du process BIM.
Comme le BIM, la mise en commun notamment des moyens humains, techniques, des expertises et des perspectives est au cœur du réacteur.
Chaque acteur conserve une fonction propre, mais l’idée n’est pas, comme dans la vision classique, que chacun se limite à sa sphère d’intervention, dans le but de garantir le meilleur résultat sur ce segment, et par ricochet sur l’ensemble du projet.
Avec le IPD, les acteurs sont appelés dès le départ, et le plus tôt est le mieux, à travailler à l’optimisation du projet pris dans son ensemble. En d’autres termes, aux objectifs sectoriels, de l’organisation en silos, se substituent un objectif, unique, commun à tous.
L’optimisation de l’opération provient justement de cette ambition collective, qui suscite l’émulation et évite que des ressources soient affectées à des objectifs individuels en conflit les uns avec les autres, au préjudice du projet.
Quel est l’intérêt de l’Integrated Project Delivery ?
L’intérêt de l’IPD tient comme nous venons de le voir à sa capacité à créer de la valeur, mais également au fait qu’il s’intéresse au partage de cette valeur, et que ce partage est lui-même porteur de valorisation. De la sorte, il répond à la question que nous nous posions ci-dessus de savoir qui de l’acteur BIM ou du MO devait profiter en priorité des gains généré par le BIM.
L’IPD répond même à cette question d’une façon globale, puisqu’il permet aux acteurs collaborant à la réalisation d’un projet de partager les risques, mais aussi les gains.
À la question de savoir à qui va profiter l’optimisation du projet, la réponse sera donc : tout le monde dans des proportions prédéfinies via un système de compensation. Avec cette organisation équilibrée du partage entre risques et gains, le système devient naturellement plus efficient et s’inscrit dans un cercle vertueux.
La pratique a développé différentes modalités de partage, et des études en proposent des analyses détaillées[2].
Quelles sont les composantes de cette démarche collaborative ?
Le IPD s’applique aux principaux acteurs d’un projet, à savoir : le MO, l’architecte et l’entrepreneur, mais d’autres intervenants sont appelés à compléter ce triptyque. En fonction de ce que l’on souhaite mettre en avant, plusieurs descriptions peuvent être données du IPD, d’autant que le niveau de collaboration est lui-même variable.
Schématiquement, on retrouve à des degrés divers les éléments suivants :
Comment s’articule le BIM et l’Integrated Project Delivery ?
L’articulation est assez naturelle. Le BIM est d’une certaine façon le moyen qui permet la mise en œuvre de l’IPD, puisque par sa dimension collaborative il répond au besoin de mutualisation de l’IPD. Pour dire les choses simplement, avec l’IPD le BIM devient incontournable
Plus généralement, et cela a déjà été indiqué, les similarités entre les deux sont nombreuses. D’ailleurs, d’une certaine façon le BIM comprend presque intrinsèquement la question de l’IPD. Le M de l’acronyme BIM se traduit aussi par management, soit la gestion de la démarche collaborative qui conduit à la réalisation de la maquette numérique.
Quelles sont les limites de l’Integrated Project Delivery ?
Comme toutes les démarches, l’Integrated Project Delivery possède des limites[3]. Certains évoquent la taille et la complexité des projets, d’autres la nécessité d’une implication de la maîtrise d’ouvrage, ou plus simplement le souhait des intervenants de s’inscrire dans une telle démarche.
Toutefois, si l’outil a des limites, il peut se targuer de solides avantages largement reconnus, et qui ont fait l’objet d’évaluation financières[4].
Dernier point : Peut-on traduire en français Integrated Project Delivery ?
Certains parlent de Réalisation de Projet Intégré (RPI) ou de Réalisation Intégrée de Projet, cette dernière transcription paraissant plus juste.
Maintenant, l’essentiel reste de s’approprier le concept d’IPD et de le mettre en œuvre, maintenant si la traduction de la notion peut aider, y compris à l’adapter au contexte français, alors pourquoi pas !
[1] https://info.aia.org/SiteObjects/files/IPD_Guide_2007.pdf
[2] Lianying Zhang, Fei Li, “Risk/Reward Compensation Model for Integrated Project Delivery”, Inzinerine Ekonomika-Engineering Economics, 2014, 25(5), 558–567.
[3] What Are the Pros and Cons of Integrated Project Delivery? http://contractorsinsurance.org/integrated-project-delivery/ dernier accès le 22/02/2018.
[4] J. Gregerson, “Integrated project delivery saves time, cuts costs, shares rewards”, https://www.thebalance.com/integrated-project-delivery-844986 Dernier accès le 22/02/2018.
David Richard
Avocat à la cour – Docteur en droit
Article paru sur la plateforme www.hexabim.fr dans la rubrique le 4 mars 2018
La création de cette valeur ajoutée induit une question légitime, celle de son partage. Autrement dit, qui doit profiter de ce gain nouveau ?
L’acteur ou le professionnel BIM, cheville ouvrière de la plus-value ? Le Maître de l’Ouvrage (MO) qui investit dans l’opération ? Un premier réflexe conduit à privilégier le MO. Il représente celui qui se trouve à l’origine de l’investissement, supportant le risque, sans lequel l’opération n’existerait pas. Lui faire profiter des gains apparaît alors assez naturel, et c’est sans doute le schéma le plus répandu.
Toutefois, à bien y réfléchir, le processus n’a rien d’évident. Si le MO est légitime à revendiquer en raison de sa prise de risque financier un éventuel droit à récompense, l’acteur BIM a également des arguments à faire valoir.
Ce dernier supporte une part d’investissement nécessaire à l’opération. D’abord, il doit investir, notamment dans le hardware, software et plus encore dans son expertise et son savoir-faire, étant précisé que dans un univers en plein développement cet effort est à la fois continu et indispensable.
Deux autres aspects viennent à l’appui de l’attribution d’un gain, au moins partiel, au profit du professionnel BIM.
En équité, la plus-value vient du recours au BIM, soit le travail de l’acteur BIM, légitimant un droit de retour sur ce gain.
Par ailleurs, sur le plan de l’efficacité économique, on peut imaginer qu’en attribuant une part de la valeur ajoutée à l’acteur BIM la créant, ce dernier sera motivé pour créer plus de valeur, donnant lieu à une récompense supplémentaire, et ainsi de suite.
Inversement, priver l’acteur à l’origine de la création de la richesse n’est pas une invitation très alléchante à poursuivre dans ce sens. Résultat, dans cette logique, les gains seront faibles, voire inexistants, et s’interroger pour savoir qui doit bénéficier de ce gain a peu de sens.
Cette discussion renvoie en réalité à une question plus vaste touchant à la science économique. Plus prosaïquement, l’industrie de la construction aux États-Unis développe une approche, ou, disons un outil, qui répond à la problématique de la création comme au partage de la valeur ajoutée.
Il s’agit de l’Integrated Project Delivery (IPD). Il possède de très nombreuses caractéristiques communes avec le BIM, et au-delà une même philosophie. Dans le même temps, l’Integrated Project Delivery est un outil à part entière, encore assez méconnu, et il n’est pas inutile d’en découvrir les grandes lignes.
Comment se définit l’Integrated Project Delivery ?
La définition que l’on rencontre le plus souvent vient comme l’Integrated Project Delivery des Etats Unis, et plus précisément de la puissante American Institute of Architects ou AIA (www.aia.org). Une traduction littérale de cette définition présenterait plus d’inconvénients que d’avantages, il est donc préférable de la garder en anglais :
“ Integrated Project Delivery (IPD) is a project delivery approach that integrates people, systems, business structures, and practices into a process that collaboratively harnesses the talents and insights of all project participants to optimize project results, increase value to the owner, reduce waste, and maximize efficiency through all phases of design, fabrication, and construction.”(AIA 2007[1])
Quel est le principe de cet outil ?
Le principe essentiel, c’est la collaboration ou la mutualisation des interventions, qui concourent à l’acte de construire, ce qui est bien sûr très proche du process BIM.
Comme le BIM, la mise en commun notamment des moyens humains, techniques, des expertises et des perspectives est au cœur du réacteur.
Chaque acteur conserve une fonction propre, mais l’idée n’est pas, comme dans la vision classique, que chacun se limite à sa sphère d’intervention, dans le but de garantir le meilleur résultat sur ce segment, et par ricochet sur l’ensemble du projet.
Avec le IPD, les acteurs sont appelés dès le départ, et le plus tôt est le mieux, à travailler à l’optimisation du projet pris dans son ensemble. En d’autres termes, aux objectifs sectoriels, de l’organisation en silos, se substituent un objectif, unique, commun à tous.
L’optimisation de l’opération provient justement de cette ambition collective, qui suscite l’émulation et évite que des ressources soient affectées à des objectifs individuels en conflit les uns avec les autres, au préjudice du projet.
Quel est l’intérêt de l’Integrated Project Delivery ?
L’intérêt de l’IPD tient comme nous venons de le voir à sa capacité à créer de la valeur, mais également au fait qu’il s’intéresse au partage de cette valeur, et que ce partage est lui-même porteur de valorisation. De la sorte, il répond à la question que nous nous posions ci-dessus de savoir qui de l’acteur BIM ou du MO devait profiter en priorité des gains généré par le BIM.
L’IPD répond même à cette question d’une façon globale, puisqu’il permet aux acteurs collaborant à la réalisation d’un projet de partager les risques, mais aussi les gains.
À la question de savoir à qui va profiter l’optimisation du projet, la réponse sera donc : tout le monde dans des proportions prédéfinies via un système de compensation. Avec cette organisation équilibrée du partage entre risques et gains, le système devient naturellement plus efficient et s’inscrit dans un cercle vertueux.
La pratique a développé différentes modalités de partage, et des études en proposent des analyses détaillées[2].
Quelles sont les composantes de cette démarche collaborative ?
Le IPD s’applique aux principaux acteurs d’un projet, à savoir : le MO, l’architecte et l’entrepreneur, mais d’autres intervenants sont appelés à compléter ce triptyque. En fonction de ce que l’on souhaite mettre en avant, plusieurs descriptions peuvent être données du IPD, d’autant que le niveau de collaboration est lui-même variable.
Schématiquement, on retrouve à des degrés divers les éléments suivants :
- Les acteurs supportent ensemble les risques et profitent ensemble des gains
- Risques et gains sont partagés équitablement en référence à trois éléments : le délai de construction, son coût et la qualité du projet
- Les acteurs disposent d’un poids équivalent dans les discussions (equal say) et travaillent en toute transparence les uns vis-à-vis des autres (open book)
- Toutes les décisions sont prises dans une perspective best-for-project
- Un processus de continous improvement est mis en place pour favoriser une qualité optimale
- Le IPD est formalisé contractuellement et se trouve souvent associé à des modes alternatifs de résolution des conflits (MARC)
Comment s’articule le BIM et l’Integrated Project Delivery ?
L’articulation est assez naturelle. Le BIM est d’une certaine façon le moyen qui permet la mise en œuvre de l’IPD, puisque par sa dimension collaborative il répond au besoin de mutualisation de l’IPD. Pour dire les choses simplement, avec l’IPD le BIM devient incontournable
Plus généralement, et cela a déjà été indiqué, les similarités entre les deux sont nombreuses. D’ailleurs, d’une certaine façon le BIM comprend presque intrinsèquement la question de l’IPD. Le M de l’acronyme BIM se traduit aussi par management, soit la gestion de la démarche collaborative qui conduit à la réalisation de la maquette numérique.
Quelles sont les limites de l’Integrated Project Delivery ?
Comme toutes les démarches, l’Integrated Project Delivery possède des limites[3]. Certains évoquent la taille et la complexité des projets, d’autres la nécessité d’une implication de la maîtrise d’ouvrage, ou plus simplement le souhait des intervenants de s’inscrire dans une telle démarche.
Toutefois, si l’outil a des limites, il peut se targuer de solides avantages largement reconnus, et qui ont fait l’objet d’évaluation financières[4].
Dernier point : Peut-on traduire en français Integrated Project Delivery ?
Certains parlent de Réalisation de Projet Intégré (RPI) ou de Réalisation Intégrée de Projet, cette dernière transcription paraissant plus juste.
Maintenant, l’essentiel reste de s’approprier le concept d’IPD et de le mettre en œuvre, maintenant si la traduction de la notion peut aider, y compris à l’adapter au contexte français, alors pourquoi pas !
[1] https://info.aia.org/SiteObjects/files/IPD_Guide_2007.pdf
[2] Lianying Zhang, Fei Li, “Risk/Reward Compensation Model for Integrated Project Delivery”, Inzinerine Ekonomika-Engineering Economics, 2014, 25(5), 558–567.
[3] What Are the Pros and Cons of Integrated Project Delivery? http://contractorsinsurance.org/integrated-project-delivery/ dernier accès le 22/02/2018.
[4] J. Gregerson, “Integrated project delivery saves time, cuts costs, shares rewards”, https://www.thebalance.com/integrated-project-delivery-844986 Dernier accès le 22/02/2018.
David Richard
Avocat à la cour – Docteur en droit
Article paru sur la plateforme www.hexabim.fr dans la rubrique le 4 mars 2018