Pour citer l’article : D. Richard, « Loi pour la confiance dans la Justice et décret de février 2022 : une vraie consolidation de la médiation », Horizons du droit n°35, Avril 2022, p.119-129.
La loi de décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant la médiation renforcent indéniablement ce mécanisme. Étrangement, l’apport principal vient probablement de ce second texte à la portée a priori plus modeste. En effet, tout en distillant plusieurs dispositions aux contenus variables, mais très pertinents, il instaure une injonction de médiation judiciaire dotée d’une portée générale. Sans présumer de l’avenir, ces deux textes offrent un cadre au sein duquel la médiation devrait pouvoir s’affirmer encore un peu plus.
(1) Souvent présentés comme une alternative aux limites de la justice traditionnelle, ou formelle pour reprendre une expression qui a cours dans le monde anglo-saxon, les MARD (Modes Alternatifs de règlement des différends) ne cessent de séduire. Au sein de cet univers où la diversité est la règle, la médiation possède assurément une place particulière. Son déploiement paraît infini, et le temps qui passe ne fait que la renforcer.
(2) La dernière grande loi sur la justice de décembre 2021[1] vient confirmer la tendance sans peine. Sans doute est-il possible de discuter de la portée de ce texte, dont l’ambition n’était pas des moindres puisqu’il s’agissait de rétablir la confiance entre les citoyens et l'institution judiciaire, en premier lieu en leur permettant de mieux connaître la justice et son fonctionnement, avec en toile de fond des sujets de grande ampleur. Au final, si certaines avancées sont réelles, leurs incidences pourraient avoir des effets limités, notamment au regard du mal-être grandissant du monde judiciaire[2].
En revanche, le texte renforce clairement la médiation, et cela probablement avec l’assentiment général. Il convient même de remarquer que si l’initiative de ce renforcement revient au pouvoir exécutif, son étendue est due à la volonté des parlementaires.
(3) Comme l’indiquent deux observateurs avisés de la médiation en France, à l’origine le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ne comptait qu’une seule disposition en faveur de la médiation[3]. Cette dernière concernait la force exécutoire des accords issus d’une médiation ou d’une conciliation (V). Or, in fine, le texte est porteur de deux autres avancées de taille : la création d’un Conseil national de la médiation (II), l’extension des MARD obligatoire donc de la médiation aux troubles anormaux de voisinage en amont d’une action contentieuse civile (III).
Notons par ailleurs que cette loi instaure le principe de la médiation préalable obligatoire (MPO) en matière de contentieux administratif[4], suite à l’expérimentation prévue par le décret n° 2018-101 du 16 février 2018 et prenant fin le 31 décembre 2021.
Par ailleurs, un décret de février 2022[5] est venu encore favoriser la médiation, pour reprendre la formulation de son titre. Il est même probable que la principale avancée en la matière tient à une forme de médiation judiciaire « obligatoire » ou disons incontestable (III). Ce texte apporte également plusieurs précisions, compléments et développements particulièrement appropriés en matière de médiation, comme par exemple au regard de la rémunération du médiateur judiciaire ou de la médiation en cassation (IV).
I. Création d’un conseil national de la médiation
(4) Pour commencer par l’apport sans doute le plus symbolique de la loi pour la confiance dans la justice à la cause de la médiation, nous dirons quelques mots de la création du Conseil national de la médiation[6].
Ce dernier est placé auprès du ministre de la Justice. Sa mission est relativement large puisque, ce conseil sera chargé de :
« 1° Rendre des avis dans le domaine de la médiation (…) et proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l'améliorer ;
2° Proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation ;
3° Proposer des référentiels nationaux de formation des médiateurs et faire toute recommandation sur la formation ;
4° Émettre des propositions sur les conditions d'inscription des médiateurs … ».
(5) Là encore l’ambition est réelle, d’autant que le texte ajoute à ses prérogatives déjà conséquentes : « Pour l'exercice de ses missions, le Conseil national de la médiation recueille toutes informations quantitatives et qualitatives sur la médiation. ». Certains considèrent d’ailleurs que : « Ce conseil pourrait ainsi devenir le fer de lance d’une politique nationale volontariste de développement de la médiation au sein de l’institution judiciaire. »[7].
Bien entendu comme à l’accoutumée, un décret d’application doit venir définir l’organisation, le fonctionnement de ce conseil, mais aussi, et peut-être surtout, les moyens qui lui seront alloués. Et, bien entendu comme chacun l’imagine, cet aspect sera déterminant. Il faut néanmoins se réjouir de la création de ce conseil qui contribue un peu plus encore à institutionnaliser la médiation, en marquant une étape législative décisive, en particulier si l'on prend en compte l’instauration de la MPO en droit public (cf. § 3).
Toutefois, la médiation demeure et doit demeurer une approche pragmatique principalement bottom-up, aux réalités diverses et variées dont la richesse repose sur celles et ceux qui la font vivre dans toutes ses composantes.
II. Tentative obligatoire de résolution amiable pour les troubles anormaux de voisinage
(6) L’article 46 de la loi favorisant la confiance dans l’institution prévoit une nouvelle situation au terme de laquelle les parties doivent s’engager dans un MARD (conciliation, médiation ou procédure participative) en amont d’une saisine du juge civil. Il s’agit du contentieux lié aux troubles anormaux de voisinage, qui vient compléter le dispositif se rapportant aux conflits de voisinage précisé à l’article 750-1 du CPC. Cette nouvelle disposition vient modifier l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
(7) Sur le fond, la loi du 22 décembre 2021 vient donc élargir le champ de la tentative de résolution amiable obligatoire sur une matière connexe de ce qui existait déjà[8]. La proposition paraît tout à fait judicieuse. En effet, d’une façon synthétique, l’article 750-1 du CPC vise les petites créances et les « petits conflits » relatifs à la propriété immobilière. Les troubles de voisinage en sont très proches par définition. De plus, un lien peut être fait avec le contentieux des autorisations d’urbanisme, qui pour une large part est instrumentalisé pour, disons influencer des situations relevant à l’évidence des troubles de voisinage. La médiation représente vraisemblablement un outil utile sur ce champ, et dont les vertus restent à découvrir pour une large part[9].
De ce point de vue, l’extension aux troubles anormaux de voisinage d’un préalable amiable obligatoire représente un vrai progrès en vue de l’élaboration d’une médiation dédiée au développement urbain.
III. Consécration de l’injonction de médiation, mesure d’administration judiciaire
(8) Toujours dans le sillage de la loi du 22 décembre 2021, il convient de noter l’apport important du décret du 25 février 2022. En effet, ce dernier dans son article 1er crée un article 127-1 du CPC dédié à la médiation seule[10].
Il convient de citer in extenso la disposition pour en saisir la portée : « À défaut d'avoir recueilli l'accord des parties prévu à l'article 131-1, le juge peut leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu'il détermine, un médiateur chargé de les informer de l'objet et du déroulement d'une mesure de médiation. Cette décision est une mesure d'administration judiciaire. ».
Ainsi, le juge possède la faculté d’imposer la proposition faite aux parties de rencontrer un médiateur. Cette possibilité vaut pour une instance au fond, mais aussi en référé puisque le décret du 25 février instaure un troisième alinéa à l’article 131-1 indiquant : « La médiation peut également être ordonnée en cours d'instance par le juge des référés.».
Toutefois, cette extension au juge de l’urgence du pouvoir n’est pas le principal aspect à retenir.
(9) De même, la modification de l’article 910-2 du CPC qui permet en appel de suspendre la procédure en cas de médiation jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur, et plus seulement les délais pour conclure représente une vraie avancée. En pratique, s’engager dans une médiation dans l’environnement pour le moins exigeant de la procédure d’appel actuelle demandait en effet un certain courage. La nouvelle écriture 910-2 du CPC est donc la bienvenue, même s’il convient de rester vigilant en la matière, notamment en cas de rejet de la proposition de médiation[11].
(10) En réalité, la force du décret de février 2022 tient dans la dernière phrase du nouvel article 127-1 CPC, qui qualifie la décision du juge d’imposer une médiation de mesure d’administration judiciaire, c’est-à-dire un acte qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge.
La qualification peut paraître anodine, mais en pratique ces effets sont redoutables, puisque les mesures d'administration judiciaire ne sont sujettes à aucun recours, pas même la cassation[12]. La mesure d’administration est définie par le Cornu comme « un acte relatif au fonctionnement d’une juridiction intéressant, soit l’ensemble de la juridiction ou à un litige »[13]. La perspective est intéressante, car elle signifie qu’il revient au juge, y compris contre l’avis des parties, d’orienter vers la médiation la demande d’un justiciable vers la médiation, plus adaptée à la résolution de son affaire. Bien entendu, l’approche soulève également des questions de fond lourdes de sens, car il est aussi possible de voir cette décision comme un acte juridictionnel. Cette discussion dépasse le cadre de notre propos, tout en méritant d’être développée.
(11) En dehors de ce débat à la teneur juridique, il faut néanmoins souligner que l’article 127-1 du CPC institue une injonction de médiation judiciaire de portée générale, s’appliquant aux affaires au fond ou en référé. D’une certaine manière, la prérogative donnée au juge ou, disons reconnue, certains magistrats étant déjà largement sur cette position, aura des conséquences bien plus larges et plus profondes que la tentative obligatoire de résolution amiable pour les troubles anormaux de voisinage, de l’article 750-1 du CPC. Nous sommes en réalité proche d’une médiation obligatoire sous le contrôle du juge, s’appliquant à tous types de litiges. Il semble donc que la tentation de la médiation obligatoire soit trop forte pour y résister[14].
D’un point de vue conceptuel, le décret de février 2022 franchit un cap lourd de sens. L’orientation est sans doute à la fois pertinente et appropriée au système judiciaire français, même si ce type de virage mérite probablement d’être explicité pour être approprié. Autre aspect pratique non négligeable, ce pouvoir attribué au juge dépend justement du juge concerné. Or, tous les magistrats n’ont pas la même approche au regard de la médiation, et c’est le moins que l’on puisse dire.
IV. Médiation en cassation et suppression de la consignation de la provision du médiateur
(12) En dehors de l’injonction de médiation et de sécurisation au regard du délai d’appel, le décret de février 2022 favorise la médiation par deux autres mesures significatives.
La première (D. 2022-245Art. 1 4°) relève du pratico pratique, tout en étant essentielle. Jusqu’à présent dans le cadre d’une médiation judiciaire, le médiateur était rémunéré via la régie du tribunal à l’instar des experts judiciaires. Dorénavant, le médiateur peut recevoir directement le versement de sa provision, ce qui devrait accélérer les processus.
Ajoutons sur ce point, les nouveaux pouvoirs là encore conséquents du juge en matière de fixation des frais de médiation (Art. 131-13 CPC).
À l’inverse, l’autre mesure possède une visée plus symbolique puisqu’il s’agit de l’organisation de la médiation devant la Cour de cassation. Codifiée pour l’essentielle à l’article 1012 du CPC, elle organise in concreto la mise en place d’une médiation au stade de la cassation. Sur ce point le décret de février 2022 s’inspire clairement du rapport de la Cour sur ce sujet datant de juillet 2021[15].
V. Formule exécutoire des accords MARD
(13) Dernier aspect, la loi du 22 décembre 2021 prévoit une septième catégorie à la liste des titres exécutoires de l'article L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution (7°) visant : « Les transactions et les actes constatant un accord issu d'une médiation, d'une conciliation ou d'une procédure participative, lorsqu'ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente.».
De façon assez cohérente avec l’axe de cette réforme, le législateur parvient ici à renforcer à la fois les MARD et l’acte d’avocat. Au travers de cette disposition, un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative pourra être revêtu de la formule exécutoire, sous réserve d’être contresigné par les conseils des parties à l’accord. L’initiative semble bienvenue à plusieurs égards. Elle favorise, par exemple, la présence de conseils pour toutes les parties, garantissant un certain équilibre entre elles. Surtout, la procédure paraît, au moins en théorie, plus légère que l’homologation.
(14) Au-delà, la perspective est cohérente. Les MARD, sans ignorer le droit, tendent à déjudiciariser les rapports sociaux, ou à tout le moins proposer une alternative à la justice formelle. L’homologation est donc de ce point de vue un moyen de renvoyer vers cette institution, une situation qui a priori – volontairement ou pas, s’en était écartée.
Comme toujours, il faudra voir si en pratique, le processus d’obtention exécutoire délivré par le greffe représente un vrai gain, d’autant que les modalités de son obtention n’ont pas encore été précisées[16] : mode de saisine du greffe, étendue du contrôle du greffe, formalisation de l’accord, mission des conseils, etc. Les parties pourront bien entendu toujours recourir à l’homologation, en particulier en l’absence de conseils. La solution devrait néanmoins perdre de son intérêt.
(15) Le complément apporté à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution est donc un autre progrès de la loi pour la confiance dans la justice. On regrette néanmoins que le législateur ne soit pas allé plus loin dans le recours et la portée donnée à l’acte d’avocats en matière de MARD. Une telle approche aurait pu permettre une solution sans avoir à repasser par une juridiction, et d’aboutir à une confiance dans l’institution judiciaire partagée. Il est vrai cependant que des efforts ont déjà été faits récemment en direction des avocats, puisque le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 modifiant l’article 1554 du code de procédure civile confère une valeur de rapport d’expertise judiciaire au rapport établi par un technicien missionné en vertu d’un acte contresigné par les avocats, dont l’intérêt est évident en matière de MARD[17].
Pour finir signalons que cette procédure pourrait à terme donner lieu à une réécriture de l’article 750-1 du CPC 1°, qui évoque l’homologation comme exception à la tentative obligatoire de résolution amiable et qui pourrait être complété par la formule exécutoire obtenue auprès du greffe.
[1][1] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.
[2] L’appel de 3 000 magistrats et d’une centaine de greffiers : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout », Le Monde 23/11/2021.
[3] F. Vert et H. Dehghani-Azar, « La médiation post-sentencielle : un dispositif pour l’efficacité de la justice », Dalloz Actualité, 07/10/2021.
[4] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, articles 27 et 28, créant les articles L. 213-11 à 14 code de justice administrative.
[5] Décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et modifiant diverses dispositions.
[6] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, articles 45 créant un article 21-6 loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
[7] Op. cit. F. Vert et H. Dehghani-Azar, « La médiation post-sentencielle : un dispositif pour l’efficacité de la justice », Dalloz Actualité, 07/10/2021.
[8] R. Laher, « Les apports de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire au droit judiciaire privé », JCP G n° 3, 24 Janvier 2022, 87.
[9] D. Richard, « Obligation d’une résolution amiable des litiges (Art. 750-1 CPC) : la médiation une solution pertinente pour l’immobilier, la construction et l’urbanisme », Horizons du droit n°26, Mai 2021, p.23-47.
[10] Le texte est pourtant placé en chapeau du titre VI du Livre 1er du CPC consacré à la conciliation et la médiation.
[11] F.-X. Berger, « Décret d’application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : répercussions sur la procédure civile », Dalloz actualité, 3 mars 2022.
[12] G. Deharo, Cass. 2e civ., 16 déc. 2021, n° 19-26.243, LexisNexis, 08/02/2022.
[13] G. CORNU, entrée Mesure, d’administration judiciaire, p.513, 3e édition, PUF, 1987.
[14] F. Vert, « La tentation de la médiation obligatoire », Gazette du Palais, 17/18 janvier 2014, p.9.
[15] Rapport 2021, La médiation devant la Cour de cassation, C. Arens, « La médiation devant la Cour de cassation, pourquoi pas ? », Dalloz actualité, 7 juillet 2021.
[16] Op. Cit. R. Laher, « Les apports de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire au droit judiciaire privé », JCP G n° 3, 24 Janvier 2022, 87.
[17] F. Vert et M. Boittelle-Coussau, « Le rôle essentiel de l’avocat accompagnateur en médiation », Dalloz Actualité, 13/01/2022.
La loi de décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant la médiation renforcent indéniablement ce mécanisme. Étrangement, l’apport principal vient probablement de ce second texte à la portée a priori plus modeste. En effet, tout en distillant plusieurs dispositions aux contenus variables, mais très pertinents, il instaure une injonction de médiation judiciaire dotée d’une portée générale. Sans présumer de l’avenir, ces deux textes offrent un cadre au sein duquel la médiation devrait pouvoir s’affirmer encore un peu plus.
(1) Souvent présentés comme une alternative aux limites de la justice traditionnelle, ou formelle pour reprendre une expression qui a cours dans le monde anglo-saxon, les MARD (Modes Alternatifs de règlement des différends) ne cessent de séduire. Au sein de cet univers où la diversité est la règle, la médiation possède assurément une place particulière. Son déploiement paraît infini, et le temps qui passe ne fait que la renforcer.
(2) La dernière grande loi sur la justice de décembre 2021[1] vient confirmer la tendance sans peine. Sans doute est-il possible de discuter de la portée de ce texte, dont l’ambition n’était pas des moindres puisqu’il s’agissait de rétablir la confiance entre les citoyens et l'institution judiciaire, en premier lieu en leur permettant de mieux connaître la justice et son fonctionnement, avec en toile de fond des sujets de grande ampleur. Au final, si certaines avancées sont réelles, leurs incidences pourraient avoir des effets limités, notamment au regard du mal-être grandissant du monde judiciaire[2].
En revanche, le texte renforce clairement la médiation, et cela probablement avec l’assentiment général. Il convient même de remarquer que si l’initiative de ce renforcement revient au pouvoir exécutif, son étendue est due à la volonté des parlementaires.
(3) Comme l’indiquent deux observateurs avisés de la médiation en France, à l’origine le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ne comptait qu’une seule disposition en faveur de la médiation[3]. Cette dernière concernait la force exécutoire des accords issus d’une médiation ou d’une conciliation (V). Or, in fine, le texte est porteur de deux autres avancées de taille : la création d’un Conseil national de la médiation (II), l’extension des MARD obligatoire donc de la médiation aux troubles anormaux de voisinage en amont d’une action contentieuse civile (III).
Notons par ailleurs que cette loi instaure le principe de la médiation préalable obligatoire (MPO) en matière de contentieux administratif[4], suite à l’expérimentation prévue par le décret n° 2018-101 du 16 février 2018 et prenant fin le 31 décembre 2021.
Par ailleurs, un décret de février 2022[5] est venu encore favoriser la médiation, pour reprendre la formulation de son titre. Il est même probable que la principale avancée en la matière tient à une forme de médiation judiciaire « obligatoire » ou disons incontestable (III). Ce texte apporte également plusieurs précisions, compléments et développements particulièrement appropriés en matière de médiation, comme par exemple au regard de la rémunération du médiateur judiciaire ou de la médiation en cassation (IV).
I. Création d’un conseil national de la médiation
(4) Pour commencer par l’apport sans doute le plus symbolique de la loi pour la confiance dans la justice à la cause de la médiation, nous dirons quelques mots de la création du Conseil national de la médiation[6].
Ce dernier est placé auprès du ministre de la Justice. Sa mission est relativement large puisque, ce conseil sera chargé de :
« 1° Rendre des avis dans le domaine de la médiation (…) et proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l'améliorer ;
2° Proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation ;
3° Proposer des référentiels nationaux de formation des médiateurs et faire toute recommandation sur la formation ;
4° Émettre des propositions sur les conditions d'inscription des médiateurs … ».
(5) Là encore l’ambition est réelle, d’autant que le texte ajoute à ses prérogatives déjà conséquentes : « Pour l'exercice de ses missions, le Conseil national de la médiation recueille toutes informations quantitatives et qualitatives sur la médiation. ». Certains considèrent d’ailleurs que : « Ce conseil pourrait ainsi devenir le fer de lance d’une politique nationale volontariste de développement de la médiation au sein de l’institution judiciaire. »[7].
Bien entendu comme à l’accoutumée, un décret d’application doit venir définir l’organisation, le fonctionnement de ce conseil, mais aussi, et peut-être surtout, les moyens qui lui seront alloués. Et, bien entendu comme chacun l’imagine, cet aspect sera déterminant. Il faut néanmoins se réjouir de la création de ce conseil qui contribue un peu plus encore à institutionnaliser la médiation, en marquant une étape législative décisive, en particulier si l'on prend en compte l’instauration de la MPO en droit public (cf. § 3).
Toutefois, la médiation demeure et doit demeurer une approche pragmatique principalement bottom-up, aux réalités diverses et variées dont la richesse repose sur celles et ceux qui la font vivre dans toutes ses composantes.
II. Tentative obligatoire de résolution amiable pour les troubles anormaux de voisinage
(6) L’article 46 de la loi favorisant la confiance dans l’institution prévoit une nouvelle situation au terme de laquelle les parties doivent s’engager dans un MARD (conciliation, médiation ou procédure participative) en amont d’une saisine du juge civil. Il s’agit du contentieux lié aux troubles anormaux de voisinage, qui vient compléter le dispositif se rapportant aux conflits de voisinage précisé à l’article 750-1 du CPC. Cette nouvelle disposition vient modifier l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
(7) Sur le fond, la loi du 22 décembre 2021 vient donc élargir le champ de la tentative de résolution amiable obligatoire sur une matière connexe de ce qui existait déjà[8]. La proposition paraît tout à fait judicieuse. En effet, d’une façon synthétique, l’article 750-1 du CPC vise les petites créances et les « petits conflits » relatifs à la propriété immobilière. Les troubles de voisinage en sont très proches par définition. De plus, un lien peut être fait avec le contentieux des autorisations d’urbanisme, qui pour une large part est instrumentalisé pour, disons influencer des situations relevant à l’évidence des troubles de voisinage. La médiation représente vraisemblablement un outil utile sur ce champ, et dont les vertus restent à découvrir pour une large part[9].
De ce point de vue, l’extension aux troubles anormaux de voisinage d’un préalable amiable obligatoire représente un vrai progrès en vue de l’élaboration d’une médiation dédiée au développement urbain.
III. Consécration de l’injonction de médiation, mesure d’administration judiciaire
(8) Toujours dans le sillage de la loi du 22 décembre 2021, il convient de noter l’apport important du décret du 25 février 2022. En effet, ce dernier dans son article 1er crée un article 127-1 du CPC dédié à la médiation seule[10].
Il convient de citer in extenso la disposition pour en saisir la portée : « À défaut d'avoir recueilli l'accord des parties prévu à l'article 131-1, le juge peut leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu'il détermine, un médiateur chargé de les informer de l'objet et du déroulement d'une mesure de médiation. Cette décision est une mesure d'administration judiciaire. ».
Ainsi, le juge possède la faculté d’imposer la proposition faite aux parties de rencontrer un médiateur. Cette possibilité vaut pour une instance au fond, mais aussi en référé puisque le décret du 25 février instaure un troisième alinéa à l’article 131-1 indiquant : « La médiation peut également être ordonnée en cours d'instance par le juge des référés.».
Toutefois, cette extension au juge de l’urgence du pouvoir n’est pas le principal aspect à retenir.
(9) De même, la modification de l’article 910-2 du CPC qui permet en appel de suspendre la procédure en cas de médiation jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur, et plus seulement les délais pour conclure représente une vraie avancée. En pratique, s’engager dans une médiation dans l’environnement pour le moins exigeant de la procédure d’appel actuelle demandait en effet un certain courage. La nouvelle écriture 910-2 du CPC est donc la bienvenue, même s’il convient de rester vigilant en la matière, notamment en cas de rejet de la proposition de médiation[11].
(10) En réalité, la force du décret de février 2022 tient dans la dernière phrase du nouvel article 127-1 CPC, qui qualifie la décision du juge d’imposer une médiation de mesure d’administration judiciaire, c’est-à-dire un acte qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge.
La qualification peut paraître anodine, mais en pratique ces effets sont redoutables, puisque les mesures d'administration judiciaire ne sont sujettes à aucun recours, pas même la cassation[12]. La mesure d’administration est définie par le Cornu comme « un acte relatif au fonctionnement d’une juridiction intéressant, soit l’ensemble de la juridiction ou à un litige »[13]. La perspective est intéressante, car elle signifie qu’il revient au juge, y compris contre l’avis des parties, d’orienter vers la médiation la demande d’un justiciable vers la médiation, plus adaptée à la résolution de son affaire. Bien entendu, l’approche soulève également des questions de fond lourdes de sens, car il est aussi possible de voir cette décision comme un acte juridictionnel. Cette discussion dépasse le cadre de notre propos, tout en méritant d’être développée.
(11) En dehors de ce débat à la teneur juridique, il faut néanmoins souligner que l’article 127-1 du CPC institue une injonction de médiation judiciaire de portée générale, s’appliquant aux affaires au fond ou en référé. D’une certaine manière, la prérogative donnée au juge ou, disons reconnue, certains magistrats étant déjà largement sur cette position, aura des conséquences bien plus larges et plus profondes que la tentative obligatoire de résolution amiable pour les troubles anormaux de voisinage, de l’article 750-1 du CPC. Nous sommes en réalité proche d’une médiation obligatoire sous le contrôle du juge, s’appliquant à tous types de litiges. Il semble donc que la tentation de la médiation obligatoire soit trop forte pour y résister[14].
D’un point de vue conceptuel, le décret de février 2022 franchit un cap lourd de sens. L’orientation est sans doute à la fois pertinente et appropriée au système judiciaire français, même si ce type de virage mérite probablement d’être explicité pour être approprié. Autre aspect pratique non négligeable, ce pouvoir attribué au juge dépend justement du juge concerné. Or, tous les magistrats n’ont pas la même approche au regard de la médiation, et c’est le moins que l’on puisse dire.
IV. Médiation en cassation et suppression de la consignation de la provision du médiateur
(12) En dehors de l’injonction de médiation et de sécurisation au regard du délai d’appel, le décret de février 2022 favorise la médiation par deux autres mesures significatives.
La première (D. 2022-245Art. 1 4°) relève du pratico pratique, tout en étant essentielle. Jusqu’à présent dans le cadre d’une médiation judiciaire, le médiateur était rémunéré via la régie du tribunal à l’instar des experts judiciaires. Dorénavant, le médiateur peut recevoir directement le versement de sa provision, ce qui devrait accélérer les processus.
Ajoutons sur ce point, les nouveaux pouvoirs là encore conséquents du juge en matière de fixation des frais de médiation (Art. 131-13 CPC).
À l’inverse, l’autre mesure possède une visée plus symbolique puisqu’il s’agit de l’organisation de la médiation devant la Cour de cassation. Codifiée pour l’essentielle à l’article 1012 du CPC, elle organise in concreto la mise en place d’une médiation au stade de la cassation. Sur ce point le décret de février 2022 s’inspire clairement du rapport de la Cour sur ce sujet datant de juillet 2021[15].
V. Formule exécutoire des accords MARD
(13) Dernier aspect, la loi du 22 décembre 2021 prévoit une septième catégorie à la liste des titres exécutoires de l'article L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution (7°) visant : « Les transactions et les actes constatant un accord issu d'une médiation, d'une conciliation ou d'une procédure participative, lorsqu'ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente.».
De façon assez cohérente avec l’axe de cette réforme, le législateur parvient ici à renforcer à la fois les MARD et l’acte d’avocat. Au travers de cette disposition, un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative pourra être revêtu de la formule exécutoire, sous réserve d’être contresigné par les conseils des parties à l’accord. L’initiative semble bienvenue à plusieurs égards. Elle favorise, par exemple, la présence de conseils pour toutes les parties, garantissant un certain équilibre entre elles. Surtout, la procédure paraît, au moins en théorie, plus légère que l’homologation.
(14) Au-delà, la perspective est cohérente. Les MARD, sans ignorer le droit, tendent à déjudiciariser les rapports sociaux, ou à tout le moins proposer une alternative à la justice formelle. L’homologation est donc de ce point de vue un moyen de renvoyer vers cette institution, une situation qui a priori – volontairement ou pas, s’en était écartée.
Comme toujours, il faudra voir si en pratique, le processus d’obtention exécutoire délivré par le greffe représente un vrai gain, d’autant que les modalités de son obtention n’ont pas encore été précisées[16] : mode de saisine du greffe, étendue du contrôle du greffe, formalisation de l’accord, mission des conseils, etc. Les parties pourront bien entendu toujours recourir à l’homologation, en particulier en l’absence de conseils. La solution devrait néanmoins perdre de son intérêt.
(15) Le complément apporté à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution est donc un autre progrès de la loi pour la confiance dans la justice. On regrette néanmoins que le législateur ne soit pas allé plus loin dans le recours et la portée donnée à l’acte d’avocats en matière de MARD. Une telle approche aurait pu permettre une solution sans avoir à repasser par une juridiction, et d’aboutir à une confiance dans l’institution judiciaire partagée. Il est vrai cependant que des efforts ont déjà été faits récemment en direction des avocats, puisque le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 modifiant l’article 1554 du code de procédure civile confère une valeur de rapport d’expertise judiciaire au rapport établi par un technicien missionné en vertu d’un acte contresigné par les avocats, dont l’intérêt est évident en matière de MARD[17].
Pour finir signalons que cette procédure pourrait à terme donner lieu à une réécriture de l’article 750-1 du CPC 1°, qui évoque l’homologation comme exception à la tentative obligatoire de résolution amiable et qui pourrait être complété par la formule exécutoire obtenue auprès du greffe.
[1][1] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.
[2] L’appel de 3 000 magistrats et d’une centaine de greffiers : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout », Le Monde 23/11/2021.
[3] F. Vert et H. Dehghani-Azar, « La médiation post-sentencielle : un dispositif pour l’efficacité de la justice », Dalloz Actualité, 07/10/2021.
[4] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, articles 27 et 28, créant les articles L. 213-11 à 14 code de justice administrative.
[5] Décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et modifiant diverses dispositions.
[6] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, articles 45 créant un article 21-6 loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
[7] Op. cit. F. Vert et H. Dehghani-Azar, « La médiation post-sentencielle : un dispositif pour l’efficacité de la justice », Dalloz Actualité, 07/10/2021.
[8] R. Laher, « Les apports de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire au droit judiciaire privé », JCP G n° 3, 24 Janvier 2022, 87.
[9] D. Richard, « Obligation d’une résolution amiable des litiges (Art. 750-1 CPC) : la médiation une solution pertinente pour l’immobilier, la construction et l’urbanisme », Horizons du droit n°26, Mai 2021, p.23-47.
[10] Le texte est pourtant placé en chapeau du titre VI du Livre 1er du CPC consacré à la conciliation et la médiation.
[11] F.-X. Berger, « Décret d’application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : répercussions sur la procédure civile », Dalloz actualité, 3 mars 2022.
[12] G. Deharo, Cass. 2e civ., 16 déc. 2021, n° 19-26.243, LexisNexis, 08/02/2022.
[13] G. CORNU, entrée Mesure, d’administration judiciaire, p.513, 3e édition, PUF, 1987.
[14] F. Vert, « La tentation de la médiation obligatoire », Gazette du Palais, 17/18 janvier 2014, p.9.
[15] Rapport 2021, La médiation devant la Cour de cassation, C. Arens, « La médiation devant la Cour de cassation, pourquoi pas ? », Dalloz actualité, 7 juillet 2021.
[16] Op. Cit. R. Laher, « Les apports de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire au droit judiciaire privé », JCP G n° 3, 24 Janvier 2022, 87.
[17] F. Vert et M. Boittelle-Coussau, « Le rôle essentiel de l’avocat accompagnateur en médiation », Dalloz Actualité, 13/01/2022.