ARTICLES Lex Terra Avocat
Le process BIM : un critère technique conditionnel
Commentaire TA Dijon, 24 octobre 2019, n°1900511
Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 24 octobre 2011 confirme la faculté offerte à l'acheteur public d'imposer une opération en BIM dans le cadre d'un marché de travaux, et de prévoir un critère technique associé à cette exigence permettant l'évaluation des offres. Ce critère doit néanmoins être en lien avec l'objet du marché ou ses conditions d'exécution.
(1) À ce jour, les décisions relatives au BIM (Building Information Modeling) sont rares pour ne pas dire inexistantes, faisant que le jugement du tribunal administratif de Dijon 24 octobre 2019, n°1900511 pourrait bien être un des premiers du genre, du moins en France.
En dépit de l’engouement qu’il suscite auprès des professionnels, le BIM n’a pas encore de place réelle au sein du droit positif. Par exemple, le code des marchés publics aborde le sujet avec beaucoup de réserve, y compris sur la forme.
En effet, si une disposition est consacrée au BIM, le process n’est pas nommé expressément, puisque le code de la commande publique parle d’« outils de modélisation électronique des données du bâtiment ».
Sur le fond l’avancée est également timide. On le sait, contrairement à de nombreux pays ayant rendu le BIM obligatoire, les pouvoirs publics français font du recours à ce process une simple faculté.
(2) L’article 42 III du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics transposant la directive de 2014 et repris à l'article R. 2132-10 du code de la commande publique formalise cette faculté.
La disposition permet à l’acheteur public d’exiger l'utilisation d'outils tel que le BIM dans le cadre de la passation d’un marché public, sous réserve d’offrir des moyens d’accès alternatifs suivant l’article R. 2132-14 du même code, jusqu’à ce que ces outils soient devenus communément disponibles aux opérateurs économiques. À défaut, le BIM pourrait être un facteur discriminant, contraire aux principes de la commande publique.
(3) La question tranchée par le TA de Dijon était quelque peu différente. Il ne s’agissait pas de savoir si l’acheteur avait empêché une entreprise de concourir, mais si les candidats avaient été traités sur un pied d’égalité.
Classiquement, une entreprise évincée avait engagé une action visant à l’annulation du marché et à obtenir réparation du préjudice qu’elle aurait subi, notamment au motif que : « l’un des critères de sélection, relatif au le BIM (Building Information Modeling), n’était pas en adéquation avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution ; », affectant l’appréciation de la valeur de l’offre du requérant.
Le règlement de la consultation imposait effectivement aux candidats la remise d’un mémoire technique au sein duquel « L’entreprise devait indiquer (indiquera également) comment elle s’insère dans la démarche BIM (Building Information Modeling) … » de l’acheteur, cette rubrique comptant pour cinq points dans la détermination de la note technique du candidat.
(4) Outre l’inadéquation avec l’objet et l’exécution du marché, le candidat malheureux considérait la formulation comme trop vague, alors que la démarche BIM de l’acheteur, elle-même, n’avait pas été suffisamment explicitée. Les juges réfutent l’argumentation considérant la prescription suffisamment définie, en précisant que ce point n’avait pas donné lieu à une question de la part du candidat.
Puis, la décision rappelle le nécessaire lien entre le ou les critères de sélection des offres avec l’objet et les modalités d’exécution du marché. Les juges considèrent cette condition comme remplie en l’espèce en se fondant sur les articles R. 2132-10 et 14 du code de la commande publique.
À ce propos, le jugement indique que le CCAP faisait état d’une mission BIM attribuée au maître d’œuvre. De même, les plans mis à disposition dans le DCE avaient été fournis au format IFC « soit un format de fichier destiné à assurer l’interopérabilité entre les différents logiciels de maquette numérique dans le cadre d’une démarche BIM ».
Enfin, et cet aspect n’est pas à négliger, les juges relativisent le manque de précision de la démarche BIM de l’acheteur, précisant que cet éventuel défaut était préjudiciable à tous les candidats sans opérer de discrimination. De plus, le critère BIM du mémoire technique ne suffisait pas à modifier le résultat final, puisqu’il comptait pour 5 points alors que le différentiel entre le requérant et l’entreprise retenue était de 9 points.
(5) Ces deux points appellent sans doute la discussion, mais ils s’entendent également. Le premier renforce en effet l’idée selon laquelle il n’y a pas eu rupture d’égalité entre les candidats. De même, le poids relatif du critère BIM sur la note technique évoque la proportionnalité entre l'importance ce critère et son niveau de définition. Il faut en complément rappeler que la mission première du juge en la matière vise à sanctionner une erreur manifeste d'appréciation, fondée sur un critère sans lien avec le marché, ce qui n’était vraisemblablement pas le cas.
Il n’en demeure pas moins que les juges ont fait un effort certain pour établir ce lien, comme accessoirement pour accepter la formulation du critère BIM. Or, rien ne dit qu’il en ira toujours ainsi. Il paraît donc essentiel de veiller à la définition de l’objet et l’exécution du marché au regard du process BIM, avec un niveau de précision proportionnelle à l’importance du critère BIM comme à son contenu.
Dans le cas présent, les entreprises devaient seulement expliciter, comment elles allaient prendre part à la démarche BIM mise en place par l’acheteur, ce qui, il faut bien le dire, est assez rudimentaire.
(6) Sur le fond, la décision du TA de Dijon n’appelle pas d’observations particulières, et correspond aux pratiques actuelles, en validant le recours au process BIM en marchés publics, et, au-delà, la faculté de disposer d’un critère technique (ou sous-critère) relatif à ce process, sous réserve d’être justifié par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution.
Ce principe ne se suffit cependant pas à lui-même, et l’acheteur doit être en mesure de démontrer qu’il peut sans prévaloir. Pour cela, il lui sera nécessaire de définir précisément ses besoins au regard du process BIM et, ensuite avec la même rigueur, les prescriptions techniques découlant de ses besoins.
Le rappel de la nécessité d’établir une charte BIM pour un acteur et un cahier des charges pour un projet donné apparait parfois fastidieux. C’est sans doute vrai, mais il s’agit aussi d’outils efficaces de prévention des risques juridiques, pour s'en tenir à cet aspect.
David Richard
Avocat au barreau de Paris – Docteur en droit
Citation article : D. Richard, « Le process BIM : un critère technique conditionnel », LTA Déc. 2019.
En dépit de l’engouement qu’il suscite auprès des professionnels, le BIM n’a pas encore de place réelle au sein du droit positif. Par exemple, le code des marchés publics aborde le sujet avec beaucoup de réserve, y compris sur la forme.
En effet, si une disposition est consacrée au BIM, le process n’est pas nommé expressément, puisque le code de la commande publique parle d’« outils de modélisation électronique des données du bâtiment ».
Sur le fond l’avancée est également timide. On le sait, contrairement à de nombreux pays ayant rendu le BIM obligatoire, les pouvoirs publics français font du recours à ce process une simple faculté.
(2) L’article 42 III du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics transposant la directive de 2014 et repris à l'article R. 2132-10 du code de la commande publique formalise cette faculté.
La disposition permet à l’acheteur public d’exiger l'utilisation d'outils tel que le BIM dans le cadre de la passation d’un marché public, sous réserve d’offrir des moyens d’accès alternatifs suivant l’article R. 2132-14 du même code, jusqu’à ce que ces outils soient devenus communément disponibles aux opérateurs économiques. À défaut, le BIM pourrait être un facteur discriminant, contraire aux principes de la commande publique.
(3) La question tranchée par le TA de Dijon était quelque peu différente. Il ne s’agissait pas de savoir si l’acheteur avait empêché une entreprise de concourir, mais si les candidats avaient été traités sur un pied d’égalité.
Classiquement, une entreprise évincée avait engagé une action visant à l’annulation du marché et à obtenir réparation du préjudice qu’elle aurait subi, notamment au motif que : « l’un des critères de sélection, relatif au le BIM (Building Information Modeling), n’était pas en adéquation avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution ; », affectant l’appréciation de la valeur de l’offre du requérant.
Le règlement de la consultation imposait effectivement aux candidats la remise d’un mémoire technique au sein duquel « L’entreprise devait indiquer (indiquera également) comment elle s’insère dans la démarche BIM (Building Information Modeling) … » de l’acheteur, cette rubrique comptant pour cinq points dans la détermination de la note technique du candidat.
(4) Outre l’inadéquation avec l’objet et l’exécution du marché, le candidat malheureux considérait la formulation comme trop vague, alors que la démarche BIM de l’acheteur, elle-même, n’avait pas été suffisamment explicitée. Les juges réfutent l’argumentation considérant la prescription suffisamment définie, en précisant que ce point n’avait pas donné lieu à une question de la part du candidat.
Puis, la décision rappelle le nécessaire lien entre le ou les critères de sélection des offres avec l’objet et les modalités d’exécution du marché. Les juges considèrent cette condition comme remplie en l’espèce en se fondant sur les articles R. 2132-10 et 14 du code de la commande publique.
À ce propos, le jugement indique que le CCAP faisait état d’une mission BIM attribuée au maître d’œuvre. De même, les plans mis à disposition dans le DCE avaient été fournis au format IFC « soit un format de fichier destiné à assurer l’interopérabilité entre les différents logiciels de maquette numérique dans le cadre d’une démarche BIM ».
Enfin, et cet aspect n’est pas à négliger, les juges relativisent le manque de précision de la démarche BIM de l’acheteur, précisant que cet éventuel défaut était préjudiciable à tous les candidats sans opérer de discrimination. De plus, le critère BIM du mémoire technique ne suffisait pas à modifier le résultat final, puisqu’il comptait pour 5 points alors que le différentiel entre le requérant et l’entreprise retenue était de 9 points.
(5) Ces deux points appellent sans doute la discussion, mais ils s’entendent également. Le premier renforce en effet l’idée selon laquelle il n’y a pas eu rupture d’égalité entre les candidats. De même, le poids relatif du critère BIM sur la note technique évoque la proportionnalité entre l'importance ce critère et son niveau de définition. Il faut en complément rappeler que la mission première du juge en la matière vise à sanctionner une erreur manifeste d'appréciation, fondée sur un critère sans lien avec le marché, ce qui n’était vraisemblablement pas le cas.
Il n’en demeure pas moins que les juges ont fait un effort certain pour établir ce lien, comme accessoirement pour accepter la formulation du critère BIM. Or, rien ne dit qu’il en ira toujours ainsi. Il paraît donc essentiel de veiller à la définition de l’objet et l’exécution du marché au regard du process BIM, avec un niveau de précision proportionnelle à l’importance du critère BIM comme à son contenu.
Dans le cas présent, les entreprises devaient seulement expliciter, comment elles allaient prendre part à la démarche BIM mise en place par l’acheteur, ce qui, il faut bien le dire, est assez rudimentaire.
(6) Sur le fond, la décision du TA de Dijon n’appelle pas d’observations particulières, et correspond aux pratiques actuelles, en validant le recours au process BIM en marchés publics, et, au-delà, la faculté de disposer d’un critère technique (ou sous-critère) relatif à ce process, sous réserve d’être justifié par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution.
Ce principe ne se suffit cependant pas à lui-même, et l’acheteur doit être en mesure de démontrer qu’il peut sans prévaloir. Pour cela, il lui sera nécessaire de définir précisément ses besoins au regard du process BIM et, ensuite avec la même rigueur, les prescriptions techniques découlant de ses besoins.
Le rappel de la nécessité d’établir une charte BIM pour un acteur et un cahier des charges pour un projet donné apparait parfois fastidieux. C’est sans doute vrai, mais il s’agit aussi d’outils efficaces de prévention des risques juridiques, pour s'en tenir à cet aspect.
David Richard
Avocat au barreau de Paris – Docteur en droit
Citation article : D. Richard, « Le process BIM : un critère technique conditionnel », LTA Déc. 2019.
lta_com_tadijon_24102019.pdf | |
File Size: | 321 kb |
File Type: |